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Ron Havilio
Potosi, le temps du voyage
Fragments - Jerusalem


Ce film est un récit très personnel d'un périple à travers l'Amérique du Sud, pendant lequel le réalisateur et sa femme visitent des lieux qu'ils avaient photographiés il y a trente ans de cela. Ce n'est pas seulement un road-movie, mais aussi un voyage dans le temps, celui de leur jeunesse, et de leurs émotions et rêves de cette époque-là.

C'est un film d'une grande sagesse, et d'une réelle profondeur. Je n'ai pas senti qu'il durait quatre heures, et après la projection, je n'avais pas envie de voir d'autres long-métrages qui me semblaient alors vains en comparaison avec celui-ci.
Roman Gutek, directeur du festival Era New Horizons
recommandation à voir le film dans le programme du festival
traduit du polonais


En 1970, pour leur voyage de noces, Ron et Jacqueline Havilio prennent la route des Andes, munis d’appareils photos. En Bolivie, ils découvrent Potosi, jadis la plus grande mine d’argent du monde: une ville oubliée perchée à 4100 mètres d’altitude, autrefois somptueuse mais synonyme d’enfer pour les mineurs indiens. En 1999, Ron et Jacqueline font un nouveau voyage en Bolivie, accompagnés cette fois de leurs trois filles, en empruntant le même itinéraire.

Journal du second voyage à Potosi, le film dresse un émouvant portrait de la ville et de ses habitants. Dans un récit très structuré et remarquablement monté, aux allures de "home movie", surgissent des photos prises 29 ans auparavant, muets fragments du passé. Les deux facettes de la ville qui apparaissent alors interrogent les notions de mémoire et de transmission.
Catalogue du Festival Paris Cinéma


Sur la route
Le magnifique journal de bord d’une famille israélienne en voyage en Bolivie

Après avoir filmé l’histoire de sa famille et de sa ville dans ‘‘fragments à Jérusalem’’ le réalisateur Israélien Ron Havilio se lance dans une nouvelle aventure cinématographique très personnelle. Trente ans après son voyage de noces en Amérique du sud, le cinéaste décide de reprendre les mêmes chemins pour réaliser un reportage de Buenos Aires à Potosi une ville  perchée à 4000metres d’altitude  en Bolivie. Il est accompagné de sa femme Jacqueline et de ses trois filles, Noa, Yaël, Naomi. « Je voulais insuffler une nouvelle vie dans mes relations avec mon épouse, et puis, surtout, nos trois filles étaient sur le point de se disperser chacun sur une voie indépendante. C’était l’occasion, sans doute la dernière, de voyager tous ensemble en famille.»

Respectant la chronologie de ce voyage familiale de l’argentine en Bolivie, ce documentaire est émaillé de magnifique photos en noir blanc, fragments muets de la mémoire du premier voyage sud-américain de 1970. Trente ans plus tard, Ron Havilio choisit une caméra 16 mm pour filmer les mêmes lieux et met à contribution Naomi et Yaël, respectivement au son et à la photographie. Oscillant entre « home-movie », road-movie et reportage le produit fini est exceptionnel et inclassable (1). « J’ai dû engager sept années de ma vie pour monter le film et accomplir sa fabrication. Reconstruire avec fidélité le voyage à Potosi, le tailler comme une pierre précieuse. » L’étape prolongé à Potosi en Bolivie est le point fort du périple. Cette cité perchée dans les Andes boliviennes fut fondé au XVI par les colons pour exploiter l’exceptionnelle mine d’argent de la région. Principale source de richesse de l’Empire espagnol pendant près de deux siècles, Potosi est aussi la porte de l’enfer pour des millions d’indiens des Andes forcés à travailler dans la mine dans des conditions terrifiantes. L’argent de la ville devient l’étalon monétaire mondial ; la cité se transforme en un énorme complexe industriel ; sa population explose. A partir de 1800, l’activité de cet eldorado ralentit. Surexploité, l’argent se fait de plus en plus rare. Peu à peu, la ville est délaissée et ses habitants s’enfoncent dans la misère. « Potosi, est un lieu magique. Un lieu terrible aussi, symbole de la férocité de l’ancien colonialisme et du saccage des ressources de la planète » Le passé et le présent s’y ressemblent étrangement. La pauvreté et les injustices sont toujours là, criantes. Le colon blanc est resté le démon dans les croyances autochtones. Dans la mine épuisée, les indiens continuent de creuser la roche, à la main et sans ventilation.  Aux séquences de la vie quotidiennes des boliviens s’ajoutent celles, pudiques et personnelles, des Havilio en voyage. Un reportage sur la Bolivie dons, mais aussi le portrait d’une famille israélienne sur la route, avec ses états d’âme sur la marche du monde  et ses interrogations sur les liens qui les maintiennent unie.

(1)La seconde partie de ce documentaire sera diffusée dimanche 27 janvier à la même heure.
Céline Chassé, Télé Nouvel Observateur du 17-01-2008


Potosi, le temps du voyage - première partie

Si les voyages appellent les rencontres, voyager en famille peut également permettre de se retrouver. C’est en tout cas l’une des motivations qui ont conduit le cinéaste israélien Ron Havilio, sa femme Jacqueline et leurs trois filles en Amérique latine sur les traces d’un périple que fit le couple en 1970, juste après son mariage à Buenos Aires, où vit encore la mère de la mariée. « J’avais 20 ans, Jacqueline 21 », se souvient le documentariste en nous donnant à voir de belles photos noir et blanc prises sur les routes escarpées et les pistes hasardeuses qui les menèrent jusqu’à la ville minière de Potosi, en Bolivie, 2 700 kilomètres au nord ouest de la capitale argentine. Aux images saisies trois décennies plus tôt répondent celles en couleurs de Yaël (21 ans), qui assiste également son père à la prise de vues tandis que Naomi (19 ans) se charge de la prise de son. Potosi le temps du voyage est le journal de bord de cette aventure hautement subjective, à la recherche d’un passé mis en regard d’un présent qui en conserve quelques vestiges. Par d’incessants allers-retours entre le souvenir de son premier voyage et l’expérience du second, comme entre l’attention à soi et la découverte de l’autre, naît la puissance d’évocation de ce beau film grave et tendre, qui habite le temps avec la paisible assurance des œuvres accomplies.
François Ekchajzer, Télérama du 16-01-2008


Potosi, le temps du voyage - deuxième partie

Suite et fin du périple effectué par le cinéaste Ron Havilio, sa femme et leurs trois filles, de Buenos Aires au Machu Picchu, via Potosi, en Bolivie, découverte lors d’un voyages de noces, trente ans plus tôt. Plus que le premier volet de ce documentaire, celui-ci s’attache aux habitants de la ville minière, recherchant parmi eux ceux qu’ils ont photographiés. Avec une infinie délicatesse et un rare sens de la beauté, le film invite à partager les éblouissements causés par les visages croisés et les paroles échangées, au gré de leur voyage. Et la magie opère, à condition d’être disponible.
François Ekchajzer, Télérama du 23-01-2008


“Potosi” n'est pas un documentaire sur le travail des mineurs; ni un pamphlet contre la pauvreté en Bolivie ou contre l'ordre mondial capitaliste; et certainement pas un reportage exotico-éthnographique à la National Geographic. Ce journal de bord d'un voyage dans les Andes est un film calme sur la confrontation avec le passé et sur la reconstruction d'une famille. Il vaut la peine d'être vu non seulement à cause des images sans prétention (visages, détails architecturaux, paysages de montagnes) mais surtout pour contempler le phénomène du temps qui passe et qui s'évanouit. Quatre heures (avec une courte pause) qui passent comme un battement.
Agnieszka Kołodyńska et Rafał Zieliński,
dans Gazeta Wyborcza, 26 juillet 2007


La frontière entre passé et présent devient plus vulnérable, et la fissure ainsi créée invite à la réflexion sur ce qui est le plus important dans la vie. Le voyage de la famille Havilio, c’est la négation du tourisme traditionnel. Ce qui les intéresse, ce n’est pas le paysage ni l’exotisme, mais l’homme.

/…../ Voyager avec Ron Havilio est une leçon de regard, qui traverse les barrières de l’espace, de la mémoire et du temps – ainsi que l'obscurité d’une salle de cinéma - et nous mène droit à la clarté.
Piotr Bogalecki, Na horyzoncie, 24 et 27 juillet 2007


Potosi, le Temps du voyage : un chant d’amour à la vie, au peuple bolivien, au cinéma… Temps des voyages, époques plurielles propices aux voyages initiatiques, mais aussi voyage impossible dans le temps, vers un passé inaccessible dont on revient le cœur brûlant.
Colette Salem: Proust à Potosi (article non publié)


Ce film ne révèle pas seulement une dynamique familiale complexe, mais aussi pose à nouveau la responsabilité du documentariste envers son sujet. Le processus de préservation de la mémoire en images devient un processus de préservation de la famille.
Commentaire du Jury, traduit de l'anglais
Festival international du film documentaire de Yamagata, Japon


En 1970, après leur mariage à Buenos Aires, un couple israélien prend la route des Andes, avec sac à dos et appareils photo. Traversant la Bolivie pour se rendre à Cuzco, ils découvrent la ville de Potosi. Vingt-neuf ans plus tard, ils reviennent au même endroit, accompagnés cette fois de leurs trois filles et d’une caméra super 16. La démarche singulière du réalisateur et l’extraordinaire beauté des images font de ce film une œuvre fascinante. Confrontant les photographies et les souvenirs du premier voyage avec les images et les rencontres du présent, le film est une réflexion nostalgique sur le passage du temps et l’écart d’une génération. Ron Havilio a su utiliser avec pudeur des documents personnels pour esquisser aussi le portrait d’une famille sur la route, qui ne cesse de s’interroger sur les liens qui la maintiennent unie.
Catalogue des Rencontres internationales du documentaire de Montréal
Novembre 2007

30 ans de reflexion

Festival. A La Rochelle, du 29 juin au 9 juillet, quatre documentaires, quatre machines à remonter le temps pour comprendre le présent.

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Deux films sont promis à une sortie en salles dans les prochains mois, il sera temps d’y revenir. Rien n’est fait en revanche pour le beau Potosi, le temps du voyage de Ron Havilio.

Accompagné de sa femme et de ses trois filles, le réalisateur israélien revient sur les traces du voyage de noces qu’il effectua en 1970 en Bolivie et au Pérou. Il retrouve les lieux qu’il photographia alors en noir et blanc, recherche les personnes, les sensations, les engagements qui l’animaient lui, tente de se rappeler ce qui était le présent et le possible futur des mineurs de Potosi qu’il rencontra alors. A la fois journal intime et politique, mise à l’épreuve des relations familiales, travail sur les souvenirs, questionnement des images, le long (4 heures) film de Havilio invente sans cesse les moyens de déjouer ses propres programmations, d’inquiéter le regard de chaque protagoniste - et surtout du spectateur en faisant constamment entrer en résonance des éléments disparates. Sa propre mauvaise foi, et sa difficulté à partager l’image et le son avec les siens alors qu’il peut être d’une disponibilité sans limite pour les ouvriers boliviens rencontrés au long de cette quête sans but mais pas sans enjeu, ne sont pas les moindres ressources de ce faux road movie, qui est un véritable (plutôt malheureux) voyage dans la conscience.

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Jean-Michel Frodon, Cahiers du cinéma, septembre 2007

Unique

(sans égal - en polonais: Niepowtarzalnosc)

Nous ne savons pas voyager. Le voulant ou pas, nous nous déplaçons à l’intérieur d’une bulle tissée de peurs et d’attentes de notre "je". Nous ne rencontrons que l’autre que nous avons imaginer.

Potosi documente une certaine expédition sentimentale : voici Jacqueline et Ron Havilio, avec leurs trois filles déjà adultes, qui décident de refaire un voyage lequel a eu lieu 30 ans auparavant - leur voyage de noce dans les Andes de Bolivie. Le but est Potosi – ville située à une altitude d’environ 4000 m, et connue pour ses mines d’argent, qui faisait jadis de cette ville l’une de plus grandes et des plus importantes au monde.

Les photographies en noir et blanc de la ville et de ses environs font office de guide. Et le camarade inséparable c’est la caméra Super 16. Du matériel enregistré il a été choisi 4 heures – c’est ainsi qu’est né l’un des films les plus intéressant de ces dernières années. A quoi bon tout çà ? Peut-être pour voir s’il est possible, le retour vers la même rivière.

La répétition, existe-t-elle?

En se promenant dans les ruelles étroites de Potosi, les créateurs du film les comparent sans relâche aux images fixées jadis sur les photographies. Il y a peu de changements : les mêmes murs et pavés, la même poussière s’installant sur les visages tristes des vendeuses d’herbes. On réussit à retrouver certaines d’entre elles, et bien que plus âgées de trente ans, elles paraissent aussi belles. C’est moins évident avec les hommes – des milliers d’entre eux ont péri à travers les siècles (Potosi est l’un de chapitres les plus tragiques du livre noir des crimes du colonialisme), et périssent encore aujourd’hui dans des mines primitives, dont les galeries entrecoupent les flans de la montagne sainte.

Le temps s’écoule ici différemment. Le rythme de la narration tente de saisir cette lenteur mélancolique dont la continuité est rythmée par les photographies d’archives. Cet outil simple de montage est extrêmement efficace. Havilio tire partie de l'aspect fragmentaire naturel des photographies, qui devient une métaphore poignante de notre mémoire. L’ascétisme des moyens formels utilisés dans le film, loin d’être ennuyant, dévoile avec plus de force la souffrance humaine.

Donner la voix à la souffrance

La douleur se cache non seulement dans les yeux sombres des habitants de Potosi, mais aussi chez les créateurs du film.

La décision d’enregistrer les conflits qui surviennent entre eux, avec une intensité grandissante, s’est avérée très réussie pour le film, "un tir dans le mille". Havilio ne cache pas que pour ses filles l’idée d’un voyage commun n’est pas une manière idéale de passer des vacances.

L’une d’entre elles pose au père des questions gênantes mais importantes : "Pourquoi justement la souffrance des Boliviens te touche, alors qu’il y a tant de gens qui souffrent ? Cela aurait pu arriver n’importe où. L’expérience vécue n’est pas dans le lieu, mais en toi-même".

Partant en voyage, nous nous dirigeons surtout vers les profondeurs qui se cachent en nous, et "que l’on ne voudrait pas montrer". La caméra glisse sur la façade décorée de l’église et le réalisateur avoue : "la tristesse de Potosi sur nos photographies s’est sans doute mêlée à la tristesse que nous portions en nous. Les paysages de Potosi sont devenus le miroir qui reflète notre paysage intérieur." Dans le miroir que nous tend Havilio, nous nous reflétons nous-mêmes avec notre désir muet de salut.

Sur le salut

Des images de la Shoah qui apparaissent dans les rêves de l’une des filles, se mélangent aux images des femmes solitaires de Potosi. La même peine, la même séparation que le hasard opère ; le même sentiment de culpabilité, alors que justement sa grand-mère a réussi à survivre alors que les autres sont montés dans le train ou jetés dans une mine, d’où ils ne reviendront jamais. "C’était une peur de la mort. La mort, tout simple" - dit la jeune Juive, et ses propos sont accompagnés d’images de femmes solitaires de Potosi. Alors peut-être, malgré toutes les différences, une rencontre est-elle possible ? Si oui, ce sera toujours une rencontre silencieuse, qui aura lieu non pas dans une forêt de symboles, mais dans un lieu où cette lumière de symboles ne parvient pas à pénétrer.

Voyager avec Ron Havilio est une leçon de regard, qui traverse les barrières de l’espace, de la mémoire et du temps – ainsi que l’espace sombre d’une salle de cinéma - et nous mène droit à la clarté.
Piotr Bogalecki - «Na horyzoncie”», 24 juillet 2007
article traduit du polonais


En 1970, après leur mariage à Buenos Aires, Ron et Jacqueline prennent la route des Andes pour se rendre à Cuzco. Ils traversent la Bolivie et découvrent la ville de Potosi. Les photos en noir et blanc qu'ils en rapportent, et le souvenir de ce premier voyage, vécu alors qu'ils avaient 20 ans, constituent la première trame du film.

29 ans plus tard, en 1999, ils font un nouveau voyage, de Buenos Aires à Potosi, en suivant l'itinéraire de 1970. Ils sont accompagnés de leurs 3 filles: Naomi au son, Yael à la photographie et Noa qui étudie l'architecture. Un séjour à Potosi constitue le but de ce nouveau voyage, dont la chronologie, au jour le jour, forme l'axe central du film. La démarche singulière plus l'extraordinaire beauté des images font de ce film une oeuvre fascinante.
Catalogue du Festival international du film de La Rochelle

Potosi: un voyage à l'origine du temps.

Un très beau, sage et sincère récit sur les retours. D'une durée de plus de quatre heures, "Potosi; le temps du voyage" nous séduit par sa narration lente, et par la combinaison de superbes photos en noir et blanc datant de 1970 et d'autres contemporaines.

Ron et Jacqueline débarquent à Potosi, la ville située à l'altitude la plus élevée au monde, 30 ans après leur premier visite. Lors de leur dernier voyage, ils avaient 20 ans. Cette-fois, ils sont accompagnés de leurs filles Naomi, Noa et Yael. Le voyage se transforme en une expérience sur laquelle ils reconstruisent leurs liens familiaux. Les filles, adultes, aident leur père à tourner le film, bien que Potosi en elle-même ne les intéresse pas. Ils pensent que leurs parents, et tout particulièrement leur père, y attachent trop d'importance. "Ce n’est pas à Potosi que tu devrais chercher, mais en toi-même", lui dit une de ses filles.

Ron and Jacqueline reviennent sur leur propre relation. Loin de leur vie quotidienne en Israël, ils comprennent les raisons d’une tristesse intérieure, présente depuis longtemps dans leurs rapports. Pour elle, c'est la marque traumatisante de la Shoah vécue par sa famille, des Juifs polonais qui ont émigrés en Argentine. Lui découvre que ses sentiments d'insécurité et de peur ont été causés par le travail de son père comme agent du Mossad.

Pourtant, les principaux personnages du film sont Potosi et ses habitants. Fondée par les Espagnols, cette ville minière alimentait en argent l'Empire espagnol. Des travailleurs indiens et africains y travaillèrent dans des conditions inhumaines. De nos jours, les Indiens travaillant dans les mines de zinc, souffrent encore de la pauvreté et beaucoup meurent de maladies du poumon. Havilio et ses filles descendent dans les mines pour filmer les mineros, et le Tio aux yeux bleus, le dieu qui protège, ceux qui travaillent dans les profondeurs. Sa caméra accompagne aussi une manifestation de mineurs, et filme des entretiens avec les habitants. Les voyageurs leur montre des photos de leur premier séjour et ensemble, ils recherchent les personnes représentées. La plupart sont décédés, mais ils parviennent à trouver une femme qui à l'époque s'occupait d’une boutique de chaussures ainsi que des participants à l'enterrement d'un mineur. Ils racontent leurs vies et bien qu'elles ne soient pas heureuses, ils semblent s'être résignés à leurs destins. Même les enfants de l'école maternelle du quartier savent à quoi vont ressembler leurs vies. De leurs voix fragiles, ils chantent l'histoire d'un mineur qui travaillera dur sans salaire jusqu'à sa mort.

La tristesse de Potosi peut aussi être vue dans les vieilles photos de Ron. Même la musique indienne qu'ils réécoutent alors leur semble plaintive et pleine de chagrin. Mais ce n'est pas le véritable visage de la ville, plutôt le sentiment qui tourmenta le jeune Havilio 30 ans auparavant. C'est la vérité que Ron découvre à la fin de son périple.

“Potosi” n'est pas un documentaire sur le travail des mineurs; ni un pamphlet contre la pauvreté en Bolivie ou contre l'ordre mondial capitaliste; et certainement pas un reportage exotico-éthnographique à la National Geographic. Ce journal de bord d'un voyage dans les Andes est un film calme sur la confrontation avec le passé et sur la reconstruction d'une famille. Il vaut la peine d'être vu non seulement à cause des images sans prétention (visages, détails architecturaux, paysages de montagnes) mais surtout pour contempler le phénomène du temps qui passe et qui s'évanouit. Quatre heures (avec une courte pause) qui passent comme un battement.
Agnieszka Kołodyńska et Rafał Zieliński
dans le quotidien “Gazeta Wyborcza”, 26 juillet 2007
article traduit du polonais

Proust à Potosi

Marcel Proust affirmait qu’aucun livre n’était aussi empreint de nostalgie que l’ouvrage intitulé "Vingt ans après", suite, après une interruption d’une vingtaine d’années dans le récit, des célèbres "Trois mousquetaires" d’Alexandre Dumas… avec l’ombre écrasante du passé, et l’absence très prégnante de Milady. Une nostalgie, fondée sur l’absence, ou plutôt sur une présence ‘en creux’, est peut-être le maître-mot du film de Ron Havilio, avec en toile de fond Potosi, ville proustienne s’il en fût, où Proust se serait arrêté - avec la même compassion que le Christ à Eboli.

Au terme d’une recherche éperdue, acharnée, absence donc des personnages photographiés lors d’un premier voyage, un quart de siècle plus tôt. Mais, souligne Ron, "sans adresses ni assises, les plus pauvres ne laissent aucune trace", et les rares personnes identifiées furent des responsables syndicaux ou des commerçants ayant pignon sur rue.

Mais aussi absence de Ron lui-même, qui se décrit, quelque peu lunaire, passant parfois devant l’objectif : "Ce qui m’étonne aujourd’hui, c’est que, parmi les centaines de photos prises à Potosi, il n’y ait pratiquement pas de photos de Jacqueline ou de moi-même»… Est-ce parce que le regard du photographe/cinéaste reste tourné vers un extérieur fascinant ? Ou bien est-ce que Ron s’absorbe dans cette réalité complexe qui se dessine face à lui, au point qu’en essayant de saisir des "fragments de réel", il s’efface, pour se faire moins directif encore ?

Il s’effacerait donc délibérément, puisque, par exemple, à propos d’une photo prise dans une cantine populaire du quartier des mineurs à Potosi, il explique : "J’ai travaillé longtemps sur le tirage, accentuant la pénombre, relevant les éclats de lumière sur la veste en cuir du mineur, la roue en bois et la tasse solitaire" - un véritable Velazquez. Mais ce n’est qu’au moment d’imprimer la totalité du négatif que Ron découvre sa propre présence sur la photo, "présence que j’ai voulu occulter à l’époque".

En 1970, la seule photo de Jacqueline et Ron en voyage de noces fut prise à la sortie de la mine. Dans le film, la même photo est prise à l’entrée de la mine, avant la suite – en couleurs - de la visite. Sans répit, dans une tension extrême, l’absence, le passé, envahissent l’instant présent. Un exemple : à la fin du film, le bus roule vers la frontière argentine. Comme, dans le film, tous les déplacement se sont effectués en voiture, cette situation provoque une réminiscence très prégnante du voyage de 1970, et dans le flot du film s’insère alors - comme on insère de force un levier - une série de photos en noir et blanc prises en 1970, en route vers Cuzco et Machu Pichu, en sens exactement inverse. On retombe ensuite d’une réalité à l’autre, du passé au présent, au son d’une mélodie péruvienne des années 50…

Ecartèlement donc dans le temps et l’espace, mais aussi démembrement à plusieurs niveaux, et tout d’abord éparpillement de la famille Havilio, dont les enfants s’égayent à la fin du film.

Pour lutter contre ce démembrement, cet effritement inéluctable du temps, Ron choisit de respecter farouchement l’ordre chronologique du tournage : aucune image du premier film n’est présente dans le second et réciproquement. Pour une œuvre sur le temps, la chronologie revêt une importance cruciale. Au lieu de couper les plans et de les monter à sa guise, comme un puzzle, Ron, animé d’une foi en une logique peu compréhensible mais bien réelle, conserve leur ordre "pour protéger l’ épaisseur du réel".

Cette approche est illustrée entre autres par le respect de l’ordre d’apparition des trois grandes scènes populaires, la fête, la manifestation et la descente à la mine.

Ce respect, contre vents et marées, provoque ainsi, par exemple, un ‘noir’ de dix secondes avec son. Pourtant, un démembrement, une faille, s’insère entre image et son : certains sons ont été enregistrés par Noemi sans images, ce qui symbolise peut-être la tension palpable dans les relations familiales. Ron, de son côté, a parfois filmé sans son, en solitaire, happé par sa quête.

D’où la place fondamentale de la scène où, à Potosi, un professeur de cinéma explique la différence entre cinéma et vidéo : "Une vidéo bien conservée va durer de 50 à 70 ans, l’espace d’une vie. Le film, fait de photos sur celluloïd, avec l’image filmée séparément du son, va durer mille ans…"

Ultime tension enfin entre le premier voyage où se place la découverte de la misère ("Je voulais crier à la révolte, donner voix aux habitants de Potosi - mais les photos sont restées dans des tiroirs obscurs…") et le second voyage dans cette ville devenue ville-fantôme, après les dictatures militaires, la fermeture des mines d’Etat et la crise des années 80.

On ne retrouve jamais ni Combray, ni Potosi. On ne peut que les porter en soi. Ce travail de mémoire est-il un luxe esthétisant, un privilège anachronique – ou bien est-ce le sel de la terre, ‘la’ quête spirituelle par excellence ?

Potosi, le Temps du voyage : un chant d’amour à la vie, au peuple bolivien, au cinéma… Temps des voyages, époques plurielles propices aux voyages initiatiques, mais aussi voyage impossible dans le temps, vers un passé inaccessible dont on revient le cœur brûlant.
Colette Salem


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